Les journées européennes du patrimoine, en 2021, ont eu lieu le même week-end que les journées portes ouvertes organisées par les constructeurs automobiles. Des artistes ont exposé dans des lieux remarquables. Des galeries d’art se sont jointes à ce cortège.

L’auto et l’art sont deux moyens de voyager. En ce qui concerne l’auto, tout le monde le comprend. Mais l’art ?… Un moyen de voyager ?… Mais bien sûr! Chaque artiste nous apporte les souvenirs d’un voyage bien particulier : son voyage intérieur.

Mon auto m’a permis d’aller à la galerie Demarez, à Giverny, face à la maison de Claude Monet. Là, Chantal Lallemand, artiste peintre, m’a emmené dans son univers, le monde des émotions.

Chantal, dont l’intention est d’échapper à toute chapelle, propose des œuvres abstraites… Quoique. Le titre de l’exposition de Chantal est « L’Art informel ». A Giverny, haut-lieu de l’impressionnisme, de quelle nature est l’impression ressentie en voyant les œuvres de Chantal ? Pour moi, incontestablement, l’impression est… l’expression d’une remarquable énergie; une énergie qui va à l’essentiel. Chaque toile nous oriente vers l’essence même de la vie. Ce travail fait à main nue porte en lui une énergie vitale, majeure, évidente, nourrissante. Je me trouve face à un petit prodige. Ces tableaux créent un lien, par-delà les millénaires, avec les mains négatives de l’art pariétal.

Notre espèce, grâce au médium de l’art, est toujours et encore dans la quête du sens. Quel rôle notre espèce doit-elle jouer dans ce vaste cosmos ? Qui suis-je et comment donner du sens à ma vie ? Ces questions réunissent beaucoup d’individus sur notre planète, et c’est tant mieux. Les artistes sont des intercesseurs, des facilitateurs, des passeurs. Ils ouvrent des portes et des fenêtres. Regardons par leurs fenêtres. Franchissons les portes. Et partons en voyage.

Le travail à main nue permet un contact direct avec la matière et le support. Sans médiation des brosses ou pinceaux, serait-ce cela le chemin le plus court pour aller vers notre centre ? Pour aller vers qui nous sommes vraiment ? Pour accomplir notre potentiel de vie ?

Les premières toiles sont blanches mais avec des reliefs qui excluent tout risque de monotonie. Et surtout ce blanc, cette candeur, supporte des traces rouges à la manière d’une calligraphie, peut-être même à la manière d’un idéogramme, ce signe porteur d’une idée, d’une pensée. Ce dessin de Chantal est-il une projection de sa pensée ? Mais y a-t-il « pensée » dans ce moment créatif ? N’est-ce pas plutôt la projection d’une intuition qui advient ? Ce n’est pas la même partie du cerveau qui est alors sollicitée. La pensée est guidée par la raison. L’intuition vient enrichir cela, pour ne pas dire bousculer. L’intuition est ce qui s’impose comme une évidence, ici et maintenant, venant d’on ne sait où, venant d’un ailleurs qui est pourtant en moi, en chacun de nous. Là, l’artiste touche à l’universel et à l’intemporel.

Chantal dit peindre des émotions. Art abstrait, bien sûr. Mais les émotions sont bien concrètes. Et nous connaissons chacune et chacun le danger d’être emporté par ses émotions. Pourtant l’émotion est incontournable pour s’envisager comme être humain. Sinon il y a pathologie. Alors, là comme ailleurs, tout est dans la mesure, dans l’équilibre visant à l’harmonie. Il convient de maîtriser, de canaliser cette énergie pour qu’elle se mette au service de la construction. Et c’est ce que j’ai vu dans chacune des toiles proposées par Chantal. Elle s’intéresse à la couleur de l’émotion dans laquelle elle est au moment de peindre. Il y un équilibre harmonieux car maîtrisé, équilibre résultat de la communication entre le cerveau de l’intuition qui nourrit l’œuvre et le cerveau de la raison qui organise tout cela pour donner à voir un résultat conforme à l’intention. De plus Chantal va glisser du concret dans la toile. Ici des oiseaux, là une croix, ailleurs d’autres sujets vont apparaître à l’observateur attentif. Il est vrai que la visite guidée faite par l’artiste aide à voir ces suggestions quasi subliminales. Derrière l’émotion, voici la vie, le symbole, le lien avec notre monde sensible. Alors, peinture abstraite… Quoique !

Et puis il y a les œuvres mixtes mélangeant de la matière et des perles cousues une à une… 35 000 perles, 7 mois de travail. C’est superbe et ça parle tout particulièrement au costumé vénitien que je suis.

La monochromie proposée par Chantal n’a décidément rien à voir avec la monotonie.
C’est plutôt une tentative d’établir un contact avec l’énergie de chaque couleur. Peut-être même est-ce une façon, selon l’expression de nos cousins québécois, de tomber en amour avec cette couleur ? Aimer les couleurs pour en prendre la force vibratoire. Ce n’est pas une vampirisation de la couleur par l’humain. C’est une trophallaxie.
C’est un cadeau que la couleur fait à l’humain. Il faut le prendre. L’humain doit le prendre. Comment Michel Pastoureaux, cet historien si original et si lumineux, qui s’est entre autre intéressé à l’histoire des couleurs, ressentirait-il les tableaux de Chantal ? Et moi, suis-je masochiste ? J’ai aimé que Chantal m’en fasse voir de toutes les couleurs…